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Photos de la libération de Ban-de-Laveline

En 1944, la libération de Ban-de-Laveline, d'après André Combeau

Depuis plusieurs jours André Combeau et d’autres jeunes du village de Ban-de-Laveline ont été réquisitionnés par l'armée allemande pour faire des travaux au Col de Sainte-Marie. Les soldats américains se rapprochent de jours en jours de Ban-de-Laveline.

Mercredi 22 novembre

Nous plantons des piquets pour créer un réseau de barbelés. Nous entendons distinctement les échos de la bataille du côté de Mandray et de Saales. Les rafales de mitrailleuses sont bien perceptibles.

Jeudi 23 novembre

Le matin nous montons pour travailler une fois de plus au col de Sainte-Marie. Toute la matinée nous assistons au passage des troupes allemandes. Spectacle inoubliable… et pour nous réconfortant, de l’armée en déroute. Le front se situerait vers Fraize-Mandray.

Le soir, ma mère nous raconte qu'ayant voulu rendre visite à sa belle-soeur, à Verpellière, elle s'est trouvée prise, entre la Grand'Voie et la Praye, dans une fusillade qui venait d'Algoutte. Des voitures hippomobiles allemandes descendaient la route au galop. Ma mère s'est abritée un moment à l'emplacement du garage Grébert, puis elle est rentrée à la maison.  Elle pense que les Allemands tiraient sur des civils, mais mon père l'a vite détrompée. Les Américains ont sans doute atteint Coinchimont puis sont descendus par Algoutte : ce sont eux, les tireurs !

Effectivement, nous apprendrons le lendemain que les premiers Américains sont arrivés à Algoutte dans l'après-midi.  Le groupe d'Américains, a poussé jusqu'à la ferme Valentin où il a installé son bivouac pour la nuit. 

Au petit matin, René Baradel va prévenir les Américains du départ des derniers Allemands. Les militaires, dont un seul connaît quelques mots de français lui demandent, ainsi qu'à Marcel Bilon, de les conduire à Omégoutte.  Ils sont fatigués, sales, hirsutes.  La patrouille monte vers Omégoutte par la forêt, mais s'arrête en lisière et demande à ses guides d'aller se renseigner sur la présence éventuelle de soldats Allemands dans les fermes. Les deux guides s'exécutent, se partagent la besogne, et reviennent ayant appris qu'il ne reste que quatre soldats ennemis dans la ferme Aubert. Quand R. Baradel et M. Bilon rejoignent la patrouille, tous les hommes sont allongés sur le sol où ils dorment, épuisés. Ils reprennent leur montée jusqu'à la ferme indiquée ; ils y trouvent en effet quatre Allemands qui... jouent aux cartes et sont capturés sans violence ; il semble même qu'ils fraterniseront avec leurs geôliers.

Dans la soirée, tout est calme au village. Mon ami Pierre Bastien passe la nuit chez nous pour ne pas emprunter la route de Verpellière. Nous sommes surexcités : finis les terrassements au col de Sainte Marie, la libération est proche.

Vendredi 24 novembre

    Ca y est ! Nous sommes libérés depuis ce matin vers 10 heures.

Dès 8 heures, Pierre et moi ne tenions plus en place.  Nous décidons de monter au clocher de l’église pour observer les environs. A peine sommes-nous sur le chemin du village que nous apercevons les soldats alliés qui progressent depuis la Grand'Voye et la côte du Chaufour. Ils marchent au pas, lentement, l'arme au bras.  Pas un seul coup de feu n'est tiré. Je cours à la maison pour chercher mon appareil photo et dans le jardin je tombe nez à nez avec mon premier Américain. Il avance derrière la scierie, il est sale, barbu et souriant. Il pose pour la photo et repart, suivi de quelques collègues. 

Je cours au centre du village où Pierre m'a précédé. C'est la liesse ! M. Beurton, le boulanger, se promène parmi les soldats, une bouteille d'eau-de-vie à la main. On rit. Les cigarettes américaines circulent déjà. On admire les carabines légères à répétition.

Pierre rejoint Verpellière pour rassurer ses parents et il photographie les premiers chars qui descendent de La Croix-aux-Mines. Les premières jeeps sont là aussi, elles étonnent. Tout de suite on remarque l'importance des communications téléphoniques : des kilomètres de fils sont déjà déroulés, à même les bords de la route.  C'est l'euphorie autour de nous.

Toute une escouade d'Américains loge à la maison ainsi qu'une unité du service de santé, dirigée par un commandant. Mon vocabulaire anglais a bien du mal à passer.

Samedi 25 novembre

Nous sommes au régime de la douche écossaise : après l'euphorie d'hier, ce matin c'est la douche froide. Plusieurs obus s’abattent sur Laveline et autour de Honville.

Les soldats allemands sont sans doute installés au col de Sainte-Marie. Je bavardais avec des membres de la famille Mathis, sur le seuil de leur maison, voisine de la nôtre, lorsque tombent les premiers obus, apparemment à courte distance. Nous hésitons un instant sur la conduite à tenir mais la deuxième salve nous persuade de descendre à la cave sans plus tarder. Soudain un choc, la maison tremble, elle vient certainement d'être touchée Le calme revenu, je remonte de la cave, j'entre à la cuisine : rien. Je vais à la chambre contiguë, la porte s'ouvre difficilement, la pièce est remplie de poussière et de gravats, le mur est percé d'un trou béant. J'abandonne les habitants à leur stupeur et je me précipite chez moi. La grange a reçu un obus et le toit s'est à moitié envolé. Mon père a vu l'impact qui a projeté les volailles, dans un nuage de plumes, par la porte ouverte. La vache s'agite et meugle constamment. Elle a une plaie au garrot. Le major américain présent propose ses services, va chercher un bistouri et extrait un éclat d'obus de trois centimètres de long.

Je vais aux informations. Plusieurs obus sont tombés au centre du village : l'un, devant le Marché couvert, a tué madame Chevalier et un militaire américain. Un autre a écorné le toit de Mlle Marchal. Plusieurs obus ont explosé derrière chez nous, dans la côte de l'Epine.

Dimanche 26 novembre

Le PC (Poste de Commandement) des troupes américaines s'est installé non loin du centre, dans la boucherie de Maurice Henry.

Lundi 27 novembre

Quelques jeunes du secteur, qui avaient été au maquis et craignaient les représailles, se trouvent encore en forêt, dans la cave d'une ferme en ruine, à Stégy.  Ils descendent prudemment jusqu'à la ferme de l'Acensement pour observer la situation. Ils aperçoivent des soldats qu'ils supposent alliés, mais le doute n'est levé que lorsque le garde Gérard libère son troupeau d'oies : les cris des volailles font comprendre que la voie est libre !

Jeudi 30 novembre

Cet après-midi, Pierre et moi descendons à Saint-Dié à bicyclette.  Spectacle de désolation : ponts sautés, ville brûlée aux trois quarts, pas une maison intacte sur la rive droite de la Meurthe, usines et cathédrale dynamitées. Tout est saccagé.  Nous sommes hébétés lorsque nous longeons ce qui était la rue principale de Saint-Dié. Saulcy est dans le même état. Un journal acheté dit que Gérardmer et Raon l’Etape sont également détruits

J'apprends que le lycée de Nancy a repris les cours depuis plusieurs semaines. Je décide donc de retourner à Nancy, malgré l'interdiction de circuler qui est en vigueur au Giron. Pierre Bastien m'accompagnera.

Vendredi 1er décembre

Ce matin, après avoir révisé nos vélos, Pierre et moi partons pour Nancy vers 10 heures.  Tout au long de la route, les villages sont plus ou moins détruits : la Voivre, la Hollande, Raon l'Etape, Azerailles.  Nous sommes pris en remorque par un camion militaire.

Samedi 2 décembre

Un tour d'horizon m'apprend la mort de plusieurs personnes : un de mes professeurs et trois élèves de diverses classes, fusillés, tués dans des bombardements ou abattus au maquis ; un autre a sauté sur une mine...

D’après André Combeau, L’année 1944 à Ban-de-Laveline, édité par l’ASCB (Association Sportive et Culturelle de Ban-de-Laveline)

 

 

Un autre témoignage nous est adressé par François Krauss, qui était enfant à l'époque

A propos de la libération de Verpellière j'ai une anecdote personnelle à ajouter au témoignage d' André Combeau. A Verpellière nous avons vu les troupes de choc Américaines arriver sur la route de La Croix à la grande terreur de tous, car les adultes avaient d'abord cru à un retour des nazis. La rue s'est donc vidée en un clin d'oeil, puis l' intonation étant différente, les bouteilles d'eau de vie sortirent rapidement des cachettes pour fêter les libérateurs. La cohabitation avec eux ne fut cependant pas exempte de conflits, ma mère dut par exemple déployer tout son sens diplomatique pour éviter de voir une batterie de mortiers s'installer dans notre cour. 

Quant aux quelques obus qui se sont abattus sur Ban-de-Laveline et Verpellière en novembre 1944, j'en ai gardé un cuisant souvenir car j'ai été commotionné par la déflagration de l'un d'eux, tombé à proximité de la croix de Verpellière. Plus de peur que de mal, seulement quelques égratignures. J'avais enfreint l'interdiction de sortir de ma mère, partie avec une voisine chercher de quoi manger à Raumont!
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