Photos de la libération de Ban-de-Laveline
En 1944,
Depuis plusieurs jours André Combeau et d’autres
jeunes du village de Ban-de-Laveline ont été réquisitionnés
par l'armée allemande pour faire des travaux au Col de Sainte-Marie. Les
soldats américains se rapprochent de jours en jours de Ban-de-Laveline.
Nous plantons des piquets pour créer un réseau
de barbelés. Nous entendons distinctement les échos de la bataille du côté
de Mandray et de Saales. Les rafales de mitrailleuses sont bien perceptibles.
Le
matin nous montons pour travailler une fois de plus au col de Sainte-Marie.
Toute la matinée nous assistons au passage des troupes allemandes. Spectacle
inoubliable… et pour nous réconfortant, de l’armée en déroute. Le front
se situerait vers Fraize-Mandray.
Le
soir, ma mère nous raconte qu'ayant voulu rendre visite à sa belle-soeur, à
Verpellière, elle s'est trouvée prise, entre la Grand'Voie et la Praye, dans
une fusillade qui venait d'Algoutte. Des voitures hippomobiles
allemandes descendaient la route au galop. Ma mère s'est abritée un moment à
l'emplacement du garage Grébert, puis elle est rentrée à la maison.
Elle pense que les Allemands tiraient sur des civils, mais mon père l'a
vite détrompée. Les Américains ont sans doute atteint Coinchimont puis sont
descendus par Algoutte : ce sont eux, les tireurs !
Effectivement,
nous apprendrons le lendemain que les premiers Américains sont arrivés à
Algoutte dans l'après-midi. Le
groupe d'Américains, a poussé jusqu'à la ferme Valentin où il a installé
son bivouac
pour la nuit.
Au
petit matin, René Baradel va prévenir les Américains du départ des derniers
Allemands. Les militaires, dont un seul connaît quelques mots de français lui
demandent, ainsi qu'à Marcel Bilon, de les conduire à Omégoutte.
Ils sont fatigués, sales, hirsutes.
La patrouille monte vers Omégoutte par la forêt, mais s'arrête en lisière
et demande à ses guides d'aller se renseigner sur la présence éventuelle de
soldats Allemands dans les fermes. Les deux guides s'exécutent, se partagent la
besogne, et reviennent ayant appris qu'il ne reste que quatre soldats ennemis
dans la ferme Aubert. Quand R. Baradel et M. Bilon rejoignent la patrouille,
tous les hommes sont allongés sur le sol où ils dorment, épuisés. Ils
reprennent leur montée jusqu'à la ferme indiquée ; ils y trouvent en
effet quatre Allemands qui... jouent aux cartes et sont capturés sans violence ;
il semble même qu'ils fraterniseront avec leurs geôliers.
Dans
la soirée, tout est calme au village. Mon ami Pierre Bastien passe la nuit chez
nous pour ne pas emprunter la route de Verpellière. Nous sommes surexcités :
finis les terrassements au col de Sainte Marie, la libération est proche.
Ca y
est ! Nous sommes libérés depuis ce matin vers 10 heures.
Dès
8 heures, Pierre et moi ne tenions plus en place.
Nous décidons de monter au clocher de l’église pour observer les
environs. A peine sommes-nous sur le chemin du village que nous apercevons les
soldats alliés qui progressent depuis la Grand'Voye et la côte du Chaufour.
Ils marchent au pas, lentement, l'arme au bras.
Pas un seul coup de feu n'est tiré. Je cours à la maison pour chercher
mon appareil photo et dans le jardin je tombe nez à nez avec mon premier Américain.
Il avance derrière la scierie, il est sale, barbu et souriant. Il pose pour la
photo et repart, suivi de quelques collègues.
Je
cours au centre du village où Pierre m'a précédé. C'est la liesse !
M. Beurton, le boulanger, se promène parmi les soldats, une bouteille
d'eau-de-vie à la main. On rit. Les cigarettes américaines circulent déjà.
On admire les carabines légères à répétition.
Pierre
rejoint Verpellière pour rassurer ses parents et il photographie les premiers
chars qui descendent de La Croix-aux-Mines. Les premières jeeps
sont là aussi, elles étonnent. Tout de suite on remarque l'importance des
communications téléphoniques : des kilomètres de fils sont déjà déroulés,
à même les bords de la route. C'est
l'euphorie
autour de nous.
Toute
une escouade
d'Américains loge à la maison ainsi qu'une unité du service de santé, dirigée
par un commandant. Mon vocabulaire anglais a bien du mal à passer.
Nous
sommes au régime de la douche écossaise :
après l'euphorie d'hier, ce matin c'est la douche froide. Plusieurs obus
s’abattent sur Laveline et autour de Honville.
Les
soldats allemands sont sans doute installés au col de Sainte-Marie. Je
bavardais avec des membres de la famille Mathis, sur le seuil de leur maison,
voisine de la nôtre, lorsque tombent les premiers obus, apparemment à courte
distance. Nous hésitons un instant sur la conduite à tenir mais la deuxième
salve nous persuade de descendre à la cave sans plus tarder. Soudain un choc,
la maison tremble, elle vient certainement d'être touchée Le calme revenu, je
remonte de la cave, j'entre à la cuisine : rien. Je vais à la chambre
contiguë, la porte s'ouvre difficilement, la pièce est remplie de poussière
et de gravats, le mur est percé d'un trou béant. J'abandonne les habitants à
leur stupeur et je me précipite chez moi. La grange a reçu un obus et le toit
s'est à moitié envolé. Mon père a vu l'impact qui a projeté les volailles,
dans un nuage de plumes, par la porte ouverte. La vache s'agite et meugle
constamment. Elle a une plaie au garrot. Le major américain présent propose
ses services, va chercher un bistouri et extrait un éclat d'obus de trois
centimètres de long.
Je
vais aux informations. Plusieurs obus sont tombés au centre du village :
l'un, devant le Marché couvert, a tué madame Chevalier et un militaire américain.
Un autre a écorné le toit de Mlle Marchal. Plusieurs obus ont explosé derrière
chez nous, dans la côte de l'Epine.
Le
PC (Poste de Commandement) des troupes américaines s'est installé non loin du
centre, dans la boucherie de Maurice Henry.
Quelques
jeunes du secteur, qui avaient été au maquis
et craignaient les représailles, se trouvent encore en forêt, dans la cave
d'une ferme en ruine, à Stégy. Ils
descendent prudemment jusqu'à la ferme de l'Acensement pour observer la
situation. Ils aperçoivent des soldats qu'ils supposent alliés, mais le doute
n'est levé que lorsque le garde Gérard libère son troupeau d'oies : les
cris des volailles font comprendre que la voie est libre !
Cet
après-midi, Pierre et moi descendons à Saint-Dié à bicyclette.
Spectacle de désolation : ponts sautés, ville brûlée aux trois
quarts, pas une maison intacte sur la rive droite de la Meurthe, usines et cathédrale
dynamitées. Tout est saccagé. Nous
sommes hébétés lorsque nous longeons ce qui était la rue principale de
Saint-Dié. Saulcy est dans le même état. Un journal acheté dit que Gérardmer
et Raon l’Etape sont également détruits
J'apprends
que le lycée de Nancy a repris les cours depuis plusieurs semaines. Je décide
donc de retourner à Nancy, malgré l'interdiction de circuler qui est en
vigueur au Giron. Pierre Bastien m'accompagnera.
Ce
matin, après avoir révisé nos vélos, Pierre et moi partons pour Nancy vers
10 heures. Tout au long de la route, les villages sont plus ou moins détruits :
la Voivre, la Hollande, Raon l'Etape, Azerailles.
Nous sommes pris en remorque par un camion militaire.
Un
tour d'horizon m'apprend la mort de plusieurs personnes : un de mes
professeurs et trois élèves de diverses classes, fusillés, tués dans des
bombardements ou abattus au maquis ; un autre a sauté sur une mine...
D’après
André Combeau, L’année 1944 à Ban-de-Laveline, édité par l’ASCB
Un autre témoignage nous est adressé par François Krauss, qui était enfant à l'époque
A
propos de la libération de Verpellière j'ai une anecdote personnelle à ajouter au témoignage d' André
Combeau. A Verpellière nous avons vu les troupes de choc Américaines arriver sur la route de La Croix à la grande terreur de tous, car les adultes avaient d'abord cru à un retour des nazis. La rue s'est donc vidée en un clin
d'oeil, puis l' intonation étant différente, les bouteilles d'eau de vie sortirent rapidement des cachettes pour fêter les libérateurs. La cohabitation avec eux ne fut cependant pas exempte de conflits, ma mère dut par exemple déployer tout son sens diplomatique pour éviter de voir une batterie de mortiers s'installer dans notre cour.
Quant aux quelques obus qui se sont abattus sur Ban-de-Laveline et Verpellière en novembre 1944,
j'en ai gardé un cuisant souvenir car j'ai été commotionné par la déflagration de l'un d'eux, tombé à proximité de la croix de
Verpellière. Plus de peur que de mal, seulement quelques égratignures. J'avais enfreint l'interdiction de sortir de ma mère, partie avec une voisine chercher de quoi manger à
Raumont!
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